- ARNAULD (LES)
- ARNAULD (LES)ARNAULD, ARNAULT ou ARNAUT LESFamille originaire d’Auvergne, établie à Paris au milieu du XVIe siècle, époque de sa première ascension et, sans doute, de son anoblissement. Gens de loi et de finances, hommes d’épée, hommes d’État s’y côtoient. Cependant c’est dans le domaine des lettres et surtout dans celui de la vie religieuse qu’elle atteindra sa plus haute illustration. Elle compte quatre générations remarquables.À la première se rattache Antoine, sieur de La Mothe (mort en 1565), d’abord chef de guerre, puis procureur général de la reine Catherine de Médicis. Converti au catholicisme après la Saint-Barthélemy, il a été d’abord huguenot et certains de ses descendants le resteront.C’est de lui qu’est entièrement issue la deuxième génération. On y distingue: Jean, sieur de La Mothe, brillant chef de guerre au service d’Henri IV; Isaac, conseiller d’État et intendant des finances; Pierre, dit Arnauld du Fort, mestre de camp général des carabins de France; et surtout un deuxième Antoine (1560-1619), qui préfère aux grandes charges l’exercice du métier d’avocat, prononçant en particulier deux plaidoyers retentissants contre les Jésuites. Sous le vêtement d’une éloquence ampoulée s’y déploie un christianisme anti-ligueur et gallican.Du mariage d’Antoine (1585) avec Catherine Marion naît, à la troisième génération, la branche la plus illustre, dont le destin est lié à celui de Port-Royal. Lui appartiennent: Robert, sieur d’Andilly; Catherine (1590-1651), qui épouse Isaac Lemaistre; la Mère Angélique (1591-1661) et la Mère Agnès (1593-1671), abbesses de Port-Royal; Henri (1597-1692), évêque d’Angers; enfin Antoine, le docteur surnommé le Grand Arnauld. Parmi leurs cousins germains, Pierre-Isaac, sieur de Corbeville (mort en 1651), ami de Voiture, est fort connu dans les milieux littéraires et mondains.La quatrième génération n’est guère moins éminente. Enfants d’Arnauld d’Andilly: Antoine, dit l’abbé Arnauld (1614-1698), auteur de Mémoires ; Simon, marquis de Pomponne (1618-1699), ministre et secrétaire d’État; M. de Luzancy (1623-1684), solitaire de Port-Royal; la Mère Angélique de Saint-Jean (1624-1684), abbesse du monastère. Enfants de Mme Lemaistre: Antoine (1608-1658), célèbre avocat devenu le premier solitaire, et M. de Sacy (1613-1684).La famille — au moins dans ses branches principales — s’éteint à la génération suivante.Dans cette lignée étonnante se détachent particulièrement le deuxième Antoine et ses enfants Antoine (le Grand Arnauld), Robert (sieur d’Andilly) et Angélique, abbesse de Port-Royal. Né à Herment, en Auvergne, Antoine Arnauld (1560-1619) s’était établi à Paris en 1577, professant pour la gloire des armes et pour la conquête des faveurs royales un dédain qui allait l’engager à faire de la religion son champ de bataille. De lui découlerait cette engeance de robins et d’érudits que la rigueur puritaine, le goût de l’autorité, une propension certaine à la fronde et un sens solide des affaires eussent tourné vers le calvinisme si le jansénisme ne lui avait fourni meilleure opportunité. Après avoir fait des études à l’université de Paris et le droit à Bourges avec Cujas, il devient conseiller de Catherine de Médicis, puis il entre au barreau et se jette avec fougue dans plusieurs polémiques contre les Jésuites. Gallican, il raille leur «obéissance aveugle à un général espagnol», défend contre eux l’université de Paris et s’oppose à leur retour une fois que l’attentat de Châtel contre Henri IV les a bannis de France. Son épouse, Catherine Marion, qui se fera religieuse à Port-Royal en 1641, lui avait donné vingt enfants, parmi lesquels Catherine, Jacqueline-Marie-Angélique, Jeanne-Catherine-Agnès, auteur de Lettres , Anne, Marie et Madeleine appartiendront à l’abbaye, comme Robert et Antoine, le vingtième. Henri deviendra évêque d’Angers, apportant à sa famille, toujours aux frontières de l’hérésie, le gage de son orthodoxie.Dernier enfant de Catherine Marion, Antoine (le troisième de la lignée), dit le Grand Arnauld (1612-1694), perdit son père à l’âge de sept ans et fut éduqué par sa mère ou, plus exactement, par le directeur de conscience de celle-ci, Jean Duvergier de Hauranne, le célèbre abbé de Saint-Cyran, qui fut l’ami de Jansénius et allait présider aux destinées de Port-Royal. Pourtant, le monde séduit le jeune Arnauld, la jurisprudence l’attire, il fréquente l’hôtel de Rambouillet, s’initie à la préciosité, imite Voiture. Mais son sort est décidé, il appartient à la théologie. Entré à la Sorbonne en 1633, il étudie saint Augustin sous la direction spirituelle de Saint-Cyran. Celui-ci, pour qui «rien n’est si dangereux que le savoir», lui impose des épreuves : jeûner deux fois par semaine en priant, lire l’Écriture sainte à genoux... Ordonné prêtre, Antoine entre, en 1641, à Port-Royal, résolu à «fuir la conversation du monde comme un air empoisonné». On dit qu’il poussait l’amour du mystère jusqu’à dénoncer comme fausse une thèse qu’il jugeait trop intelligible. Son traité La Fréquente Communion (1643), paru l’année de la mort de Saint-Cyran, l’impose à la tête du courant janséniste et suscite la haine des Jésuites, qui intriguent pour le faire embastiller. Pendant les vingt-cinq ans que durera sa retraite, il polémique contre eux (Nouvelle Hérésie dans la morale , La Morale pratique des jésuites ), fournissant à Pascal la matière de ses Lettres écrites à un provincial . Rentré en grâce en 1669, il se lie d’amitié avec Boileau et Racine et attaque violemment le calvinisme, rejoignant par là son frère Henri, l’évêque d’Angers, qui, pour sa part, applaudira à la révocation de l’édit de Nantes. Lorsque la politique prend un tour hostile à Port-Royal, il fuit à Mons, à Tournai, à Bruxelles, où il meurt. Une lettre de Rancé, l’abbé de la Trappe, donne la mesure de l’estime qu’on lui portait: «Enfin voilà monsieur Arnauld mort. Après avoir poussé sa carrière aussi loin qu’il a pu, il a fallu qu’elle se soit terminée. Quoi qu’on dise, voilà bien des questions finies.»Un même tissu de mondanités et d’éloquent refus du monde se découvre chez Robert, dit Arnauld d’Andilly, qui écrit dans ses Mémoires : «Je n’ai jamais eu d’ambition, parce que j’en avais trop.» L’empire de l’absolu s’accordait cependant chez lui à l’art de la cabale et du trafic d’influences. Un madrigal, qu’il offrit à la Guirlande de Julie , montre qu’il mariait sans trop de peine la dévotion à la galanterie. Saint-Cyran fit de lui son légataire universel à condition qu’il se retirât à Port-Royal. On le vit alors user de tous les prétextes pour retarder la date de la retraite. Il intrigue pour devenir précepteur du Dauphin, publie des Stances sur diverses vérités chrétiennes , écrit un poème sur la vie du Christ, produit des Lettres où il se ménage des appuis du côté des Jésuites. En vain. La charge tant convoitée lui échappe et la déception le pousse enfin à Port-Royal, où il avait envoyé six filles sur les quinze enfants qu’il eut. Le bruit, si longuement orchestré, de sa retraite le rendit célèbre et mit le jansénisme à la mode. En 1664, la dispersion de la communauté l’exile à Pomponne chez un de ses fils, et il meurt en 1674. Il avait traduit les Confessions de saint Augustin, les œuvres de sainte Thérèse, l’Histoire des juifs de Flavius Josèphe.Jacqueline-Marie-Angélique (1591-1661), deuxième fille d’Antoine, est d’une tout autre nature. Sa brutale franchise tranche avec la cautèle de Robert et du Grand Arnauld. Intelligente et vive, elle eût préféré le mariage au couvent, qui lui fut imposé dès l’âge de sept ans. « Vous voulez que je sois religieuse, dira-t-elle, je le veux bien mais à la condition que je serai abbesse.» À neuf ans, elle fait profession non sans préciser que, «se sentant libre devant les hommes, elle se sentait engagée devant Dieu». Sa vocation forcée lui fut toujours en horreur: «J’ai été maudite quand les hommes m’ont fait abbesse et non Dieu, et que les moines de Cîteaux m’ont bénite à onze ans.» Elle reçut de l’autre côté du guichet son père qui lui rendait visite et, quand celui-ci, furieux, la traite de monstre parricide, elle constate: «Mes parents m’ont fait religieuse à neuf ans, lorsque je ne voulais pas l’être; aujourd’hui, ils veulent que je me damne en n’observant pas ma règle.» Tandis que, les unes après les autres, ses sœurs entrent à Port-Royal, elle se jette dans la ferveur comme dans une volupté sombre et désespérée. Nommée abbesse en 1642, elle épouse la cause du jansénisme et n’hésite pas à traiter le pape Innocent X de fourbe lorsque les cinq propositions de l’Augustinus sont condamnées en 1653. Dieu fut aussi l’arme de sa vengeance contre les hommes qui l’avaient bannie du monde.
Encyclopédie Universelle. 2012.